Pour situer un peu (vu que la plupart se fichent pas mal de ce qui se passe à Nantes), le cinéma du Katorza organisait hier une soirée sur le thème d’Isao Takahata, deux projections suivies d’une rencontre avec le réalisateur. Le tout était organisé avec l’exposition Mondes et merveilles du dessin animé de l’Abbaye Royale de Fontevraud. Cette dernière est dédiée à Paul Grimault, Isao Takahata et Hayao Miyazaki et aurait pu m’intéresser mais ça fait quand même une trotte d’ici à Saumur. Dommage.
La soirée a commencé à 18h, pas du tout pétantes vu que l’invité se faisait désirer, sur une projection du Roi et l’oiseau de Paul Grimault. Pour ceux qui chercheraient le rapport, Paul Grimault est une légende de l’animation française. Son travail, et en particulier ce film, a eu un certain impact, dont justement sur Miyazaki et Takahata. Ce dernier nous l’a d’ailleurs rapidement expliqué dans un petit discours le présentant avant de disparaître jusqu’à la fin des deux séances. Je me demandais s’il parlait français ou non étant donné ses activités récentes sur les versions japonaises de Kirikou la sorcière, les triplettes de Belleville et Le roi et l’oiseau, mais nous avons bel et bien eu droit à un traducteur. Qui force d’ailleurs le respect, j’en étais rendu à le plaindre alors que Takahata parlait et parlait sans faire de pause, je me demandais comment le pauvre allait faire mais il nous a traduit tout d’une traite sans trop d’hésitations.
Le Roi et l’oiseau est donc réalisé par Paul Grimault avec le scénario et les dialogues de Jacques Prévert. Le film lui est dédié, ce dernier étant mort en 1977 sans avoir pu suivre l’œuvre jusqu’à sa sortie en salle en 1980. L’histoire est celle d’une poursuite, une bergère et un ramoneur chassés par le roi tyrannique et mégalomane Charles V + III = VIII + VIII = XVI, éprit de la bergère et fermement décidé à l’épouser. Ils sont aidés dans leur escapade par le pire ennemi du roi, un oiseau nichant avec ses quatre oisillons au dessus des appartements royaux.
Ceux connaissant bien mes goûts et coups de cœur le savaient déjà, ce film justifiait pour moi à lui seul le déplacement, et je n’aurais probablement jamais de louanges à sa hauteur. Même près de trente ans après sa sortie en salle, la réalisation garde toujours son charme contrairement aux équivalents japonais qui accusent toujours leur âge d’une façon ou d’une autre. La version diffusée était celle restaurée en 2003, je n’ai pas trouvé la différence très flagrante mais il faudrait peut-être que je déterre ma VHS vieille de 15 ans pour vraiment m’en rendre compte. L’humour et la poésie sont omniprésents, on reconnaît la patte de Prévert, en particulier dans la fameuse scène de l’ascenseur. Ce passage est d’ailleurs représentatif des différents niveaux de lecture et des subtilités qu’on peut y relever en tant qu’adulte qui m’avaient échappé quand j’avais 7-8 ans. Le thème résolument anti-totalitaire et la musique de Wojciech Kilar font toujours autant d’effet, pour un monument à découvrir, redécouvrir, et à ne rater sous aucun prétexte.
Après une courte pause et un discours de présentation d’un des responsables du Katorza (qui était à la limite du spoil), la projection du Tombeau des lucioles a commencé autour de 20h. Je pense pas que ça soit la peine que je m’étale trop sur ce film, superbe tragédie d’Isao Takahata retraçant le parcours de deux orphelins après les bombardements de Kobe à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le détail qui m’a le plus amusé, c’est le concert de trompettes avec tous ceux qui se mouchaient rendu au générique de fin. Je me demande si c’est ça que le présentateur entendait par expérience de groupe.
C’est alors qu’Isao Takahata nous a rejoint accompagné de son traducteur pour une séance de question-réponse. Le présentateur a lancé le mouvement pour ensuite laisser le public continuer pour une bonne heure. Les questions étaient généralement assez pertinentes et Takahata assez bavard et précis pour répondre à la plupart d’entre elles (je crois qu’il n’en a oublié/esquivé qu’une, sur la scène l’ayant le plus marqué dans ce film). J’ai appris pas mal de choses intéressantes, comme le fait que ce film avait été réalisé avec Totoro, que la décision de les projeter dans une même séance avait été prise au tout début du projet et que Takahata s’était donc retrouvé face à un dilemme, décider si cette histoire était vraiment montrable à un public d’enfants qui sortirait tout juste de la projection d’un film assez joyeux et optimiste. Comme je suis là à en parler, la réponse était évidement oui.
Le passage des bombardements m’avait un peu désorienté, formaté que je suis aux films de guerre occidentaux où ça pète dans tous les sens et une explication nous a été apportée à cette occasion : les bombes utilisées par les américains étaient pour la plus grande partie incendiaires, afin de maximiser les dégâts sur un bâti japonais à l’époque largement constitué de bois. Le sujet des nouvelles technologies a été abordé et il nous a expliqué son attachement à l’utilisation du dessin et de la part d’imagination inhérente à l’utilisation de la 2D par rapport à une 3D très explicite. Pas pour autant d’une volonté de tout faire à l’ancienne en cellulo, il s’agissait plutôt d’une opinion vis à vis des productions modernes utilisant assez largement, voir uniquement la 3D. Ce qui ne l’a pas empêché de répondre à une autre question sur quelle scène il modifierait le plus volontiers aujourd’hui par un regret sur les effets des lucioles. À l’époque réalisés avec la technique la plus pratique et la moins chère, il aurait d’après lui été possible de faire mieux avec des images de synthèse.
Concernant les personnages, il a exprimé la difficulté qu’a posé Setsuko. La petite fille était en effet décrite très succinctement par son frère dans la nouvelle d’Akiyuki Nosaka et la porter fidèlement à l’écran ne s’est pas révélé chose facile. Le frère, quand à lui, serait plus représentatif des jeunes de notre époque que de la sienne. Une situation comme la leur n’avait en effet rien d’exceptionnel en ces temps durs et la plupart choisissaient de ravaler leur fierté, d’endurer les brimades et de faire le choix le plus à même de leur permettre de survivre. L’adaptation en prises de vue réelles de la nouvelle a été abordé à plusieurs reprises, ce qui nous a en particulier permit d’apprendre que le ton serait durcit dans les relations avec la famille, qui ne serait plus une tante mais juste des parents éloignés.
Il n’y avait pas de séance d’autographe d’organisé mais une petite fille a quand même tourné un peu autour des intervenants pour attendre à côté du traducteur, puis s’asseoir entre Takahata et le présentateur avant de se décider à lui présenter le bout de papier qu’elle traînait depuis cinq minutes. Quelques autres personnes autour de moi taquinaient des stylos mais je ne me suis pas éternisé une fois la soirée terminée, comme il était près de 23h, que j’avais faim, une demi-heure de vélo avant de rentrer et un boulot le lendemain. J’ai regretté de ne pas avoir d’appareil photo, et encore plus un magnétophone qui aurait été assez utile pour mieux retranscrire la conversation. J’ai hésité à prendre un bloc note mais je ne sais pas si j’aurais eu le courage de gribouiller pendant tout ce temps.
Pour faire un bilan, Isao Takahata s’est révélé un invité très intéressant. Ajouté à la chance de revoir sur grand écran deux chefs-d’œuvre de l’animation, j’ai donc passé une très bonne soirée.