On ne peut pas dire qu’il partait sur un très bon pied niveau capital sympathie. D’abord pour le choix de modèle économique, le passage à l’épisodique étant plus souvent un artifice utilisé pour étayer les coûts sur des productions à narration forte et à moyens faibles, vu de loin on pouvait se demander si l’idée n’était pas juste une idée du marketing pour siphoner encore un peu plus les fans ayant survécu à Absolution. Ensuite pour l’état au lancement, avec juste Paris comme épisode significatif, une technique très jolie mais un peu bancale avec des plantages irréguliers. Plus généralement un certain manque de finition sur le produit général, en particulier sur l’interface et les scripts des différents acteurs.
En tant que vétéran de la série plutôt là pour buter des insouciants à coup de katana déguisé en mascotte de foire, j’avais toutefois un assez bon pressentiment. Pour tout le mal (mérité) qu’on a pu dire sur Absolution, le moteur et les mécaniques avaient tout de même les bases pour un bon Hitman (nonobstant des costumes mal implémentés), le gros des problèmes venaient du level design à la Splinter Cell et d’un déséquilibre en faveur de la narration. Quelques niveaux en état de grâce comme Hope, la boite de strip-tease ou Chinatown prouvaient qu’IOI n’avait pas encore perdu la main. J’ai donc décider de tenter le coup de l’expérience totale et une fois n’est pas coutume, ai craqué direct pour le Season Pass.
Et grand bien m’en a pris. Paris était un niveau certes orthodoxe et carré, mais néanmoins bien fournis en challenges en tout genre, intéressant pour quelqu’un qui irait chercher un peu au delà de juste un one-shot sur les cibles principales pour étendre sa maîtrise du niveau. Les diverses récompenses sous forme d’équipement, caches de ravitaillement, nouveaux points d’insertions, ou simplement le côté complètement loufoque fonctionnent bien comme incitation à continuer à explorer et expérimenter. Et ce n’est pas le temps qui manque quand les nouveaux épisodes arrivent une fois tous les mois et demi, voir plus pour la pause estivale (certes, remplie par deux mini-épisodes non-facturés).
Pour parler du gameplay plus généralement, je rappelle aux cancres du fond qu’Hitman est un simulateur de meurtre. Le joueur y dirige via des contrôles assez typiques de shooter ou jeu d’infiltration à la troisième personne un clone génétiquement amélioré pour être le tueur parfait, charge à lui d’être à la hauteur de la réputation de son avatar… Ou juste de n’en faire qu’à sa tête, la franchise laissant généralement une certaine latitude sur les moyens exacts employés qui peuvent être aussi subtiles que brutaux, voir carrément débiles. Après un instant d’égarement sur l’épisode Absolution, la série revient avec cet épisode à ses fondamentaux et se concentre dessus. Le scénario est envoyé au placard, relégué à une cinématique de fin de mission vite oubliée. À la place, la star est clairement ces grands niveaux très détaillées, gigantesques empilement de scripts, bac à sables pour égayer les assassins en herbe.
Les costumes ne sont pas en reste et reviennent en force, avec des règles beaucoup plus raisonnables que celles complètement absurdes d’Absolution qui les avait quasiment relégué au rang d’anecdote. Sans pour autant revenir aux déguisements increvables des premiers épisodes, le nouveau système limite la capacité de démasquage à quelques individus “attentifs” qui seront bien évidemment placés comme il faut pour faire obstruction au joueur sans complètement le bloquer. Clé de voûte du système d’infiltration, ils varient énormément de paramètres sur ce qui sera considéré comme acceptable par votre entourage : les objets pouvant être ouvertement porté, utilisé, les actions faisables sans éveiller de soupçon, les zones où vous pourrez vous aventurer sans vous faire rembarrer, voir arrêter. Ils ne sont toutefois jamais obligatoires, vous aurez toujours la possibilité d’effectuer une infiltration plus traditionnelle sans les utiliser une seule fois, au prix d’une difficulté plus élevée. L’inventaire fonctionne quand à lui toujours un peu de la même façon, juste un peu plus étoffée, avec un unique emplacement pour les objets lourds impossibles à camoufler et une capacité infinie pour ceux de taille plus réduite pouvant être “rangé dans les poches”. Il existe des points de fouille dans plusieurs niveaux, une certaine attention devra donc être gardée sur ce que vous portez si vous deviez les traverser. Comme dans Absolution, beaucoup d’éléments à priori inoffensifs peuvent être utilisés comme arme improvisée, aussi bien au corps à corps frontal que pour des assassinats silencieux ou même des armes de jet.
Au niveau de la facture des épisodes à proprement parler, la qualité varie. Paris était bien fait, honnête, carré et sans surprise. Sapienza en Italie était simplement sublime, très bien arrangé, j’ai juste regretté tout le segment de la mairie inutilisé jusqu’à une récente cible élusive. Marrakech au Maroc était intéressant mais brouillon, la foule tape à l’œil et inutile, les zones avec les cibles trop restreintes, en particulier le général (comme toujours, les militaires se montrent très inintéressants dans Hitman). Bangkok en Thaïlande est exemplaire, densément peuplé, une architecture plus tarabiscotée. Le Colorado aux USA est de loin le moins intéressant du lot, trop plat, trop militaire, pas très agréable à l’œil, le seul du lot que je recommanderais de passer à ceux qui voudrait exploiter la nature épisodique pour ne prendre que les parties intéressantes. Heureusement, Hokkaido au Japon vient rattraper pour finir en beauté avec sa clinique high-tech rajoutant un twist sur les uniformes et permettant de revisiter quelques classiques de la franchise comme les sushis trafiqués et les meurtres au katana. Chaque niveau est également venu avec son lot d’amélioration de qualité de vie. On peut dire qu’à partir de Marrakech en juin, le jeu était déjà pas mal poli et qu’à présent l’UI est quasi-parfaite.
En plus de ces nouveaux niveaux, IOI n’a pas complètement abandonné ses joueurs dans les creux entre deux gros patchs. Pour (relativement) occuper, des ajouts ponctuels ont été fait de temps en temps, des fois avec des packs de challenges thématiques, d’autres avec des contrats d’escalade, itérant sur eux-mêmes en complexifiant leurs objectifs à chaque nouvelle tentative réussie. La communauté faisait également son affaire avec le monde Contrat, probablement la meilleure idée d’Absolution qui revient ici en force pour permettre à n’importe qui de faire ses propres contrats. Et point d’orgue de ces petites touches, les cibles élusives, contrats spéciaux sans la moindre assistance qui vous laissent une seule chance sur votre cible.
Ce dernier point est sûrement celui qui m’aura laissé le moins indifférent, en bien comme en mal. En l’espace de 15-20 cibles, j’en ai finalement loupé assez peu pour des raisons de planning, ce qui a laissé pas mal de place pour diverses aventures et mésaventures. Parfois bon moment sur un contrat sauvé de justesse par pure force d’improvisation, d’autres où j’ai fini abattu dans le dos par des gardes du corps pour une erreur fatale de ma part. Un peu de frustration pour un contrat perdu à un bug de NPC, le moment gênant où des objectifs trop mal expliqués m’ont poussé à tuer une cible trop tôt pour terminer sur un GO instantané. Et bien sûr, l’apothéose pour les moments de gloire où on arrive en dépit des contraintes à planifier un assassinat parfait. Sur les huit mois de vie du jeu, c’est aussi un aspect qui s’est montré instructif par l’évidence du tâtonnement de l’équipe qui cherchait un peu ses marques sur quelque chose de complètement nouveau, n’a pas hésité à expérimenter, parfois avec succès, des fois moins.
À l’heure qu’il est, la version en disque viendra tout juste de sortir, avec quelques ajouts rigolos comme une difficulté supplémentaire. Les allergiques à la distribution numérique et/ou au format épisodique pourront donc s’en donner à cœur joie à leur tour, mais paradoxalement je n’aimerais pas être à leur place. Après dix mois de vie et d’un suivi soutenu, Hitman version 2016 est à présent un tel millefeuille de contenu qu’il demandera une certaine discipline pour être abordé sans se gâcher toute l’expérience en étant tenté par une sorte de bing play qui pousserait à enchaîner les contrats principaux sans s’attarder sur chacun d’entre eux. À ce rythme là, il est sans doute possible de finir le tutorial et les six épisodes en moins de dix heures, pour peu que vous ne tentiez pas de viser au moins un score parfait (Silent Assassin) sur chaque mission. Ce décalage entre contenu principal et optionnel, avec quelques faiblesses de scripts et d’IA, est peut-être à présent la principale faiblesse du jeu. Pour le reste, cette itération est de loin la meilleure qu’il m’ait été donné d’expérimenter, la quintessence de la série à ce jour, laissant dans la poussière un Blood Money qui a enfin droit à sa retraite bien méritée. IOI ne semble pas vouloir en rester là, et j’attends la suite des évènements avec impatience.